lundi 15 octobre 2012

La pensée de Tariq Ramadan (2)


Tariq Ramadan occupe une place trop souvent laissée libre dans le monde islamique : celle des intellectuels musulmans croyants et pratiquants qui cherchent à unir le monde de la religion (musulmane) avec le monde moderne (et ses valeurs occidentales). Cet article est la deuxième partie d'un texte dans lequel je  présente d'une façon succincte l'essence de la pensée de cet auteur. (Les références sont celles de l'édition en anglais « What I believe », publié par Oxford University Press, 2010.) Pour lire le première partie, cliquez ici.
Si la diversité existe certainement parmi les musulmans, tous sont unis par la même croyance et les mêmes pratiques ; ainsi, on parle de «ummah » (« communauté musulmane ») en se référant aux musulmans, peu importe le pays dans lequel ils résident.
Cependant, Tariq Ramadan relève que la diversité existe dans deux domaines distincts. Tout d'abord, les lectures et interprétations variées des textes musulmans de référence sont une réalité qui permet de comprendre l'existence des différentes traditions, tendances et pensées au sein des écoles du droit musulman.
D'autre part, la diversité est d'ordre culturel. Ceci signifie que les musulmans ont toujours tenu compte des cultures et des traditions des pays dans lesquels ils vivent ; ainsi, un musulman africain n'est pas identique à un musulman asiatique. En d'autres termes, au fil des siècles, les musulmans ont toujours été « sélectifs et ont préservé ce qui ne contredisait pas les principes de leur foi » et il est donc possible d'affirmer qu'il existe « une religion – un islam – avec différentes interprétations et plusieurs cultures » (p. 42).
Ce phénomène historique est ce que vivent de nos jours les musulmans en Europe. Dans leurs cas également, ils doivent « rester fidèles aux principes religieux fondamentaux, tout en admettant leur culture occidentale. » De la sorte, ils sont « entièrement musulmans en ce qui concerne la religion et entièrement occidentaux en ce qui concerne la culture » (p. 42).
Le défi des musulmans consiste donc à « opérer une distinction » entre ce qui est culturel et ce qui est religieux. Dans le premier cas, il suffit d'adopter « les éléments positifs des cultures occidentales » et dans le second, il faut « rester fidèle aux principes de l'islam » (p. 44). Taris Ramadan affirme ainsi que ce processus permet de considérer que l'islam – tel qu'il est vécu par les musulmans qui résident dans les pays de l'ouest – est devenu une religion occidentale (p. 45.)
Prendre en considération les valeurs occidentales, tout en restant fidèles aux principes de l'islam permet à un islam réformiste de voir le jour et ce sont précisément les musulmans réformistes qui sont les plus nombreux en Occident, parmi les musulmans croyants et pratiquants (p. 47).
Le tableau est ainsi dressé de deux courants qui s'opposent : celui de l'islam réformiste et de l'islam littéraire. Selon l'auteur, si l'islam réformiste a déjà fait évoluer énormément l'interprétation des textes classiques musulmans, il doit aller encore plus loin et se modifier d'un islam de « réformes d'adaptation » en un islam de « réformes de transformation. ». Tariq Ramadan parle dans ce cas de « réformes radicales » qui sont indispensables afin de considérer sous un nouveau angle les « sources mêmes des principes fondamentaux de la loi islamique et de sa jurisprudence. » (p. 48).
Cette vision s'oppose de plein fouet à celle des minorités qui favorisent une approche littérale des textes et qui rejettent dans leur ensemble les valeurs occidentales perçues comme étant « vides de religion » et « dénuées de morale. » Les leaders de ces minorités ont un respect aveugle pour les autorités qui légifèrent le droit islamique (p. 49). Le fait qu'elles soient marginales parmi les musulmans échappent le plus souvent aux médias (p. 50).


Afin de donner un aspect concret à sa réflexion et aux progrès qu'il affirme avoir constaté dans l'islam en Occident, l'auteur cite quelques exemples. Ainsi, il estime que la majorité des musulmans qui vivent en Occident ne se considèrent plus comme des « étrangers » dans un monde qui n'est pas le leur. Plutôt, ils sont devenus – à l'image des croyants des autres religions – les propres « témoins » de leur message et principes et se sentent maintenant chez eux là où ils vivent (p. 51).
Également, la quasi-totalité des musulmans ont intégré deux concepts importants du monde occidental : la liberté de conscience et la liberté de croyance. Ils ont également compris que la laïcité et la neutralité religieuse garantissent la pluralité religieuse au sein des sociétés occidentales et qu'elles protègent leurs droits légitimes (p. 52).
Ceci explique la raison pour laquelle les musulmans ne demandent pas la promulgation de lois spécifiques à leurs égards, mais plus simplement que les lois qui existent soient appliquées et que toutes les religions reçoivent le même traitement (p. 52).
En ce qui concerne la présence de plus en plus visible des musulmans dans les sociétés occidentales, Tariq Ramadan note que nous commettons souvent l'erreur de penser qu'il s'agit de l'émergence d'une communauté ségrégationniste. Plutôt, il estime que cette visibilité est le fruit d'une meilleure implication des musulmans au sein de ces sociétés.
De fait, si les parents ou grands-parents des jeunes musulmans occidentaux avaient tendance à vivre d'une façon isolée et invisible, la nouvelle génération s'ouvre au monde extérieur et s'implique dans le monde social, culturel, politique, éducationnel... De timorés et effacés, les citoyens musulmans sont devenus des individus qui s'impliquent de plus en plus dans la société (p. 53).

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